Dans le Québec du milieu du 20e siècle, il y avait peu de place pour la recherche en sciences et en mathématiques. Conscients des graves effets négatifs de cette lacune, autant pour l’économie que pour la culture générale, les artisans de la Révolution tranquille ont placé au cœur de leur planification le développement d’une communauté scientifique locale bien équilibrée.
Dans ce plan de modernisation du Québec, un premier volet fut certainement l’impressionnant développement des universités au Québec, dans la foulée de celui du système d’éducation publique. Pendant longtemps, on a compris à Québec l’importance de donner un large accès aux études universitaires, et la nécessité de bien financer les universités. Cela est essentiel pour ce qui est de la recherche scientifique, puisque les universités constituent le principal creuset de cette recherche.
D’autre part, pour améliorer la compétitivité émergente des chercheurs québécois aux divers concours de subventions en recherche des organismes fédéraux, le Québec de la Révolution tranquille avait habilement opté pour la mise en place des programmes de subventions insistant sur la collaboration entre chercheurs, et l’établissement de jeunes chercheurs. Ces programmes arrivaient donc en complément aux programmes fédéraux, et agissaient comme levier pour aller chercher des subventions plus importantes. L’histoire montre que cela a été gagnant.
C’est donc grâce à un judicieux spectre de mesures allant d’une forte croissance des universités, à la mise en place d’adéquats programmes de bourses d’études et de subventions à la recherche, que le Québec a aujourd’hui réussi à se tailler une place tout à fait respectable en recherche. En fait, dans beaucoup de domaines des sciences et des mathématiques, le Québec compte maintenant plusieurs chercheurs qui sont des leaders mondiaux.
Cependant, depuis plusieurs années déjà, le milieu de la recherche scientifique tire fortement sur la sonnette d’alarme quant à son avenir. En premier lieu, parce que ce sont trop souvent les activités de recherche qui souffrent au premier chef du sous-financement chronique des universités. En effet, la société québécoise a facilement le réflexe de ne percevoir ses universités que comme des établissements ou il se fait de l’enseignement, et peut-être accessoirement de la recherche. Le mode même de financement des universités est fondamentalement construit autour de ce genre de conception. Ainsi, dans ce calcul du financement, on ne considère jamais qu’une partie du salaire des professeurs correspond au temps qu’ils doivent consacrer à la recherche, en plus de leur enseignement. De plus, il a bien été mis en évidence qu’il manque un grand nombre de professeurs dans les universités québécoises, ceux-ci étant remplacés par des chargés de cours qui n’ont pas de responsabilités en recherche. Voilà un autre motif de s’inquiéter de l’impact sur la recherche.
Sur un autre plan, les organismes québécois chargés des concours de subventions à la recherche voient leurs budgets stagner depuis trop longtemps, pour aujourd’hui les voir en plus carrément amputés. Au cours des dernières années, une cascade de contraintes budgétaires avait déjà forcé ces organismes à éliminer ou redéfinir plusieurs de leurs programmes de subventions. Chaque fois, le Québec avait perdu en compétitivité, et subit une lente sape de ses forces vives en recherche. On commence aujourd’hui à constater des dégâts importants, qui seront rapidement irréversibles à moins d’un revirement marqué.
Trop de centres de recherches, qui hier encore étaient des fleurons du Québec, sont aujourd’hui sur le point de fermer boutique. Trop de jeunes chercheurs québécois de haut niveau ne trouvent plus de débouchées au Québec, bien que celui-ci soit loin d’avoir atteint un niveau adéquat de recherche en science. Les meilleurs se tournent maintenant à regret vers l’étranger, et ils seront irrémédiablement perdus pour le Québec qui les a formés à grands frais.
Bref, les chercheurs en science au Québec voient les coupures leur tomber sur le dos de tous bords tous côtés. Pire encore, il y a un effet multiplicatif dans ces coupures. Ainsi une coupure de 5 % dans le budget global d’une université, se traduit souvent par une coupure de 15 % ou de 20 % dans le budget de ceux de ses centres de recherche qui réussissent à survivre. Survivre par rapport à d’autres centres qui eux sont entrés dans une spirale de perte de compétitivité, alimentée par une spirale associée de perte de moyens, les menant à une rapide disparition. À ses coupures universitaires s’associent des coupures parallèles importantes en provenance des organismes de subventions québécois. Il y a plus que lieu d’être gravement inquiet pour l’avenir de notre recherche scientifique; et il est plus que temps de changer de cap, si le Québec ne veut pas perdre son important investissement en recherche depuis la Révolution tranquille.